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wc Genre pregnant_woman Santé des femmes

Une approche anthropologique des violences obstétricales

Une approche anthropologique des violences obstétricales Mounia El Kotni est docteure en anthropologie de la santé de l’Université de l’Etat de New York à Albany (2016) et post-doctorante au Cems-EHESS Paris (2019-2021). Ses travaux portent sur l’accès aux soins (droits, discriminations), la justice reproductive, les discriminations de genre et l’évaluation des politiques publiques.

Elle fait également partie du collectif « Notre corps – nous-mêmes », formé en 2016 dans le but de réactualiser le livre du même nom paru en 1977. « Notre corps – nous-mêmes » est un manuel de santé féministe, forgé à partir des expériences et des paroles de plus de 400 personnes interrogées. Il a pour objectif d’accompagner les femmes dans les différentes expériences de leur vie (règles, sexualité, accouchement, ménopause, prise de conscience de son corps, choix de vie, travail…) et les aider à se défendre contre les injonctions et les violences patriarcales dans la sphère intime, institutionnelle ou publique.

Nous avons discuté avec elles dans le cadre de notre campagne « Santé et (in)égalité de Genre », labellisée « Festival Génération Égalité Voices » organisé par ONU Femmes France.

D’où es parti votre intérêt, en tant qu’anthropologue, pour les violences obstétricales ?

Dans le cadre de mon doctorat, je suis retournée au Mexique, après une première expérience réussie, dans une association de sages-femmes traditionnelles. Je connaissais peu de choses sur les droits reproductifs et sexuels et je me suis demandé si j’avais envie de travailler sur ces questions.  

A l’époque je ne voulais pas d’enfants et la maternité ne m’intéressait pas vraiment. Puis, en lisant des anthropologues féministes, j’en ai conclu qu’il s’agissait toujours des mêmes questions, à savoir le droit à disposer de son corps, de vouloir des enfants ou pas, de pouvoir accoucher chez soi ou à l’hôpital, en gros le droit de prendre des décisions, et d’être respectée dans ces prises de décision.  

En travaillant sur l’impact des politiques de santé maternelle, et donc sur le travail des sages-femmes et le choix des femmes mexicaines, j’ai été confrontée assez rapidement à la question des violences obstétricales. Puis quand je suis rentrée en France, la question a également commencé à être débattue, des associations se sont formées, il y a eu un premier cortège autour de ces violences pendant les marches du 8 mars.

J’ai donc rejoint ce mouvement avec la volonté de faire le pont entre le Mexique et la France car, dans les récits des femmes, des activistes ou des chercheur•ses, ce sont toujours les mêmes les phrases ou les mêmes insultes qui reviennent, que ce soit en Inde, au Mexique, en France ou ailleurs.

Des violences systémiques et universelles

Il y a donc quelque chose de systémique dans la façon dont la médecine traite les personnes qui sont en train d’accoucher. Il s’agit d’un moment charnière ; donner la vie c’est également risquer la sienne, il y a cette phase de désespérance juste avant la naissance où certaines femmes disent souvent avoir eu l’impression de mourir (avec un risque encore très grand de mourir en couche dans certains pays. Selon l’OMS, en 2015, il était de 239 pour 100 000 naissances dans les pays en voie de développement, contre 12 pour 100 000 dans les pays développés.). Il s’agit d’un moment pivot, durant lequel les femmes sont concentrées sur un seul objectif, en proie à plein de sentiments, de chocs physiques et émotionnels, et sont donc vulnérabilisées.  

La question des violences gynécologiques, en dehors de la grossesse en tant que telle, est également remontée. Ce sont des moments où les corps sont nus, face à des spécialistes et devant un savoir médical qui a été construit en expérimentant sur le corps des femmes, et des femmes noires en particulier. D’emblée, il y a une différence de pouvoir, puisque le savoir que les femmes elles-mêmes ont sur leur corps, leur instinct, ou même leur expérience corporelle si elles ont eu plusieurs enfants, n’est absolument pas considéré par rapport à un savoir médical qui lui est le fruit d’études, d’expériences cliniques etc.  

C’est dans cette différence de pouvoir, comme dans la société en général, qu’émergent les violences dans le domaine obstétrical, et c’est ce que j’appelle « la médecine patriarchale ». Ces différentiels permettent la violence, surtout lorsqu’on est dans une institution. Il y a un aussi ce déséquilibre entre un individu et une institution qui protège ses pairs. 
 
Une phrase qui revient souvent et partout, c’est l’injonction à la femme en train d’accoucher de se taire avec des phrases du type « tais-toi, quand tu l’as conçue il y a neuf mois, tu ne criais pas comme ça ». 

Cela peut paraître choquant mais c’est vraiment quelque chose de très classique de shamer, de faire honte aux personnes. Cette façon de sexualiser l’accouchement dans l’optique de faire honte est vraiment quelque chose d’universel dans les témoignages. 

Ainsi les violences obstétricales comportent toutes maltraitances et violences ; physiques, dont les actes non-consentis, verbales, par des insultes, mais également psychologiques. Elles sont même parfois banalisées et normalisées, en les présentant comme des encouragements pendant l’accouchement, pour aider la femme à se concentrer, comme l’a montré une étude en Afrique du Sud.

Le consentement et la justification médicale des actes

Il y a aussi ce que je qualifierai de « faute professionnelle », des pratiques qui sont aujourd’hui interdites, comme l’expression abdominale, et qui nécessitent donc de la part des soignant•es de remettre en question et à jour leurs connaissances.  

On peut également parler de l’épisiotomie, pratique qui consiste en une incision du périnée juste avant la sortie de la tête du bébé pour « faciliter », selon la croyance, l’ouverture du vagin, qui serait de ce fait plus facile à recoudre qu’une déchirure naturelle. Néanmoins, non seulement cela a été prouvé que le vagin se recoud beaucoup plus facilement après une déchirure naturelle, mais c’est en plus une pratique déclarée comme « non nécessaire » par l’OMS depuis les années 90 et qui ne doit surtout pas être systématique.  

Or, elle est pratiquée systématiquement au Mexique, et en France dans certains hôpitaux, lors des premiers accouchements, cela concerne une femme sur deux. Dans certaines maternités françaises, l’épisiotomie est pratiquée dans 45% des accouchements. 

Pour quoi dire qu’une épisiotomie est un acte violent ? La question ici est celle de la nécessite et du consentement. Or souvent les femmes ne se rendent compte de l’épisiotomie qu’après coup, lorsqu’elles sont recousues, parfois sans anesthésie et/ou avec le « point du mari » qui faciliterait le plaisir pénétratif du conjoint. 

Il est également important de noter que dans certaines maternités françaises, le taux d’épisiotomie n’est que de 1%.  Si cette pratique était indispensable, on retrouverait des taux comparables dans toutes les maternités de France. Il est donc évident qu’il s’agit de quelque chose de l’ordre de la pratique médicale et de cultures d’établissement. Si ces taux sont aussi bas dans certaines maternités, c’est aussi parce les chefs de services ont pris le sujet à bras le corps et ont formé leur pair.es. On voit donc bien revenir pendant l’accouchement cette question de « à qui appartiennent le corps des femmes, qui peut décider ».  

Enfin, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’interventions lourdes, qui ont des impacts durables également au-delà de l’accouchement et du post-partum. Il est important de rappeler que le suicide est la seconde cause de mortalité maternelle en France (13.4% juste après les maladies cardiovasculaires 13.7%). Mais il y a des conséquences beaucoup plus tard également, lors de la ménopause et sur le périnée notamment.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la société sur cette question ?

Ce que l’on voit et ce qui est intéressant, c’est que les recommandations de l’OMS sont internationales et pourtant les avancés diffèrent selon les pays. En règle générale, il y a encore trop peu de changement sur la question des violence obstétricales. 

En France, les lois existent, comme la loi Kouchner de 2002 sur le consentement médical. Au Mexique aussi, des lois spécifiques aux violences obstétricales ont été votées, avec des peines allant jusqu’à trois ans de prison, mais elles ne sont pas appliquées. Ainsi selon les contextes, une nouvelle loi peut faire avancer les choses mais dans d’autres, les outils législatifs déjà existant devraient être utilisés.  

En revanche, la nouveauté aujourd’hui, c’est la médiatisation de cette question, l’existence de collectifs et surtout qu’on parle de nouveau entre mères et filles. Ces dernières décennies, il y avait eu une vraie rupture de la transmission générationnelle. La médecine s’est positionnée comme la réponse à tout : dès les premières règles ou pour la contraception, le réflexe a été d’aller chez la•le gynécologue qui était celui•celle qui expliquait. Il n’y avait plus ou presque plus de dialogue intergénérationnel. 

Cet ouvrage « Notre corps ; nous-même » sert à cela, c’est un manuel de santé, mais mêlant à la fois des témoignages et des informations pratiques, et qui sert également à parler aux générations d’avant et d’après. 

En outre, l’approche de la médecine traditionnelle et des sages-femmes, c’est cette vision globale, qu’a perdu la médecine aujourd’hui en spécialisant sur l’organe, comme l’avait justement dit Michel Foucault. Les sages-femmes, celles qui pratiquent l’accompagne global, voient les femmes tout au long de la vie : des douleurs des règles, à la contraception et à la ménopause, etc. C’est une vision plus globale qui permet de questionner différemment l’émergence de certaines maladies ou d’inconforts.  C’est ce qui permet aussi de prendre en considération la question de l’environnement car on parle de l’individu non seulement dans sa globalité mais également dans son milieu de vie et de l’influence de cet environnement sur notre santé. 

C’est sur cette question que je souhaite désormais orienter mes recherches, sur l’intersection entre la question des droits reproductifs et de la santé reproductive et l’environnement. Les sages-femmes traditionnelles avec lesquelles j’ai travaillé se mobilisent à la fois face aux violences obstétricales et face à la disparition de leurs savoirs. Les plantes utilisées pour soigner disparaissent à cause des pesticides, de la contamination de l’eau ou de la déforestation. Et elles remarquent également de plus en plus de problèmes de fertilité dans des familles où une génération auparavant, il pouvait y avoir plus de 10 frères et sœurs.  

J’oriente donc mes recherches vers l’environnement dans une démarche d’anthropologue, en suivant ces groupes de femmes qui se mobilisent, notamment autour de ce concept, de plus en plus mobilisé en Amérique Latine et qui commence à l’être en Europe également, celui de « corps territoire ».  

Je retrouve ici un miroir entre les violences faites aux femmes dans le domaine de la santé et la santé environnementale : mon corps c’est mon territoire, c’est moi qui décide ! Et en même temps, le territoire c’est aussi le corps de la terre, et donc je dois en prendre soin tout autant.

Pour aller plus loin

Cet entretien s’inscrit dans notre Campagne « Santé et (in)égalité de Genre » labellisée Festival Génération Égalité Voices organisé par ONU Femmes France. Suivez-là sur nos réseaux sociaux !

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