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Des brochures infographiques pour surmonter les obstacles liés à l’analphabétisme en RDC

Des brochures infographiques pour surmonter les obstacles liés à l’analphabétisme en RDC

Dans le cadre du projet Green Livelihoods Alliance (GLA), notre collègue Paula Haltmann du bureau de WECF International a rédigé cet article sur les obstacles à la pleine participation des populations autochtones dans la gouvernance forestière en République Démocratique du Congo. WECF France à travers le projet REGAIN soutient la CFLEDD (La Coalition des Femmes Leaders pour l’Environnement et le Développement Durable) en RDC dans ce sens.

Si vous pouvez lire ce texte, estimez-vous chanceux·ses et réfléchissez un instant à ce que serait votre vie si vous ne le pouviez pas. L’alphabétisation se définit par la capacité de lire et d’écrire, en les comprenant, des énoncés courts et simples sur la vie quotidienne. Malgré de nombreux progrès en matière d’alphabétisation, aujourd’hui encore, environ une personne sur cinq est totalement analphabète, et parmi les personnes alphabétisées, environ 3 milliards se limitent à un niveau de lecture et d’écriture de base. Or, l’économie mondiale devient de plus en plus une économie de la connaissance, dans laquelle l’alphabétisation est essentielle. Les personnes analphabètes sont par conséquent confrontées à des problèmes de discrimination qui ont une incidence négative sur leur santé, leur bien-être économique et social et leur capacité à s’engager dans les sphères politiques, ce qui les rend vulnérables à l’exploitation (Miranda, 2021; IWDA, 2018).

Les peuples autochtones de la République démocratique du Congo (RDC) sont souvent victimes de discrimination raciale et de violations de leurs droits. Il est inquiétant de constater que leur exclusion sociale et leur exploitation sont aggravées par leur taux élevé d’analphabétisme (IWGIA, 2011). Conscient de l’exclusion des peuples autochtones, le Front Commun pour la Protection de l’Environnement et des Espaces Protégés (FCPEEP) a créé une campagne de sensibilisation sur l’utilisation de livrets infographiques (ou « boîtes à images ») comme moyen de partager visuellement des connaissances pour promouvoir l’engagement civique parmi les peuples autochtones, sans nécessiter de compétences en alphabétisation.

En 2022, le taux d’alphabétisation des adultes en RDC, parmi les personnes âgées de quinze ans et plus, a atteint 80,54%, ce qui place la RDC à un faible 120e rang mondial dans le classement des taux d’alphabétisation, de nombreux pays atteignant plus de 90% et certains même 100%. En outre, la RDC présente une nette disparité entre les taux d’alphabétisation des hommes et des femmes. Le taux d’alphabétisation des hommes en RDC est de 89,63%, tandis que celui des femmes est beaucoup plus bas, à 71,73% (Macrotrends, 2024 ; Countryeconomy.com, 2024). Ce problème n’est pas propre à la RDC, car au niveau mondial, le taux d’alphabétisation des femmes est inférieur de 7% à celui des hommes (Groupe de la Banque mondiale, 2024).

La diversité des méthodes de test et des définitions de l’alphabétisation soulève toutefois des doutes quant à l’exactitude des chiffres rapportés, les taux d’analphabétisme étant souvent sous-évalués plutôt que surévalués. Néanmoins, on estime qu’environ 781 millions d’adultes dans le monde ne savent ni lire ni écrire, et que près des deux tiers de ce groupe sont des femmes, ce qui fait de l’analphabétisme une question féministe pertinente (IWGIA, 2011 ; IWDA, 2018).

Les taux d’analphabétisme sont élevés parmi les populations indigènes, où les écarts d’alphabétisation entre les genres ont tendance à être les plus élevés, ce qui rend l’analphabétisme particulièrement fréquent chez les femmes indigènes (Hanemann, 2005). Les taux d’alphabétisation les plus faibles sont plus fréquents dans les zones rurales pauvres, où résident généralement les communautés indigènes, qui représentent 15 % des personnes extrêmement pauvres dans le monde (Ballard, 2021). La pauvreté et l’analphabétisme vont souvent de pair pour de multiples raisons. Tout d’abord, l’accès à l’éducation est plus faible dans les zones touchées par la pauvreté en raison de l’isolement géographique et de l’insuffisance des ressources. Deuxièmement, les familles vivant dans les zones rurales pauvres ont souvent besoin de leurs enfants pour travailler, ce qui les empêche d’aller à l’école (IWGIA, 2011).

Contrairement aux garçons et aux hommes, les filles et les femmes sont chargées des tâches ménagères, ce qui les empêche souvent de participer à des activités éducatives et professionnelles et de développer leurs compétences en lecture et en écriture (IWGIA, 2011). Il est inquiétant de constater que les femmes représentent un pourcentage plus élevé de l’économie informelle, où les compétences en matière d’alphabétisation sont moins nécessaires, ce qui les rend vulnérables à un risque accru d’exploitation et d’emploi précaire, réduisant ainsi leur capacité à subvenir à leurs besoins financiers. Le manque de revenus et la dépendance financière forcée des femmes exacerbent l’impuissance causée par l’analphabétisme, car elles ont moins de pouvoir de négociation que leurs maris, ce qui accroît le risque de violence domestique (Ballard, 2021 ; IWDA, 2018).

L’incapacité à lire ou à écrire limite les possibilités pour les personnes de s’informer sur leurs droits et rend difficile pour elles de naviguer dans les services de soutien offerts aux victimes de violences, ou de s’engager dans la société civile en général. L’incapacité à comprendre les politiques et les bulletins de vote, par exemple, empêche les gens de voter – un droit pour lequel les femmes se sont battues avec acharnement (IWDA, 2018). L’analphabétisme complique également la capacité des personnes à s’engager dans les services de santé et à comprendre et appliquer correctement les informations sur la santé, ce qui les expose à un risque plus élevé de transmission et d’atteinte par la maladie (Miranda, 2021). Cette situation est préoccupante pour la santé sexuelle et reproductive des femmes, qui sont plus exposées aux maladies sexuellement transmissibles que les hommes (Sandee LaMotte, 2019).

Outre la pauvreté et l’isolement rural, d’autres circonstances contribuent au faible taux d’alphabétisation des populations autochtones. Les communautés autochtones se caractérisent par des schémas de migration saisonnière, temporaire ou permanente qui interrompent l’éducation des enfants, comme c’est le cas en RDC où les peuples autochtones vivent en groupes nomades ou semi-nomades. La RDC est recouverte à 65% de forêts, qui sont la source de vie des communautés autochtones du pays (Hanemann, 2005 ; IWGIA, 2011). En tant que protectrices de ces forêts, riches en minerais et en bois, les communautés autochtones sont souvent en proie à des conflits. Les pygmées Batwa de la RDC ont ainsi été la cible de violences de la part de plusieurs factions armées, tout en ne bénéficiant d’aucune protection et en étant largement exclus de la société congolaise (Hanemann, 2005).

La culture et les langues indigènes se caractérisent également par l’importance accordée à l’oralité par rapport à l’alphabétisation. Il n’est donc pas rare que les autochtones parlent couramment leur langue, mais ne soient pas capables de lire ou d’écrire dans leur propre langue. En outre, les systèmes éducatifs enseignent rarement dans les langues indigènes, ce qui contribue encore à abaisser les niveaux d’alphabétisation (Hanemann, 2005 ; Ballard, 2021).

Les populations autochtones, et en particulier les femmes autochtones, sont manifestement désavantagées par des taux d’analphabétisme élevés et discriminatoires qui les empêchent de participer pleinement à la vie de la société. Pour remédier à cette situation et faciliter le renforcement des capacités des groupes autochtones, le FCPEEP (partenaire du WECF dans le cadre de l’Alliance pour des moyens d’existence durables) a activement encouragé l’utilisation et la distribution de brochures infographiques. En septembre et octobre 2024, la FCPEEP a distribué 55 brochures infographiques aux populations autochtones et aux communautés locales autour du paysage de Kahuzi Biega et de la rivière Lwiro, dans la province du Sud-Kivu. De nombreuses organisations étaient présentes, dont MAMAN TONDE-TONDE, ECOLOFEMME, Strong Roots, IFDP et FDAPID.

L’atelier était dirigé par Salomé M’Ntavuna, leader Pygmée. Respectée dans sa communauté, elle a expliqué comment ce moyen d’enseignement visuel leur permettrait d’apprendre la gouvernance forestière, la restauration des forêts, l’intégration du genre et l’engagement communautaire. Les témoignages des femmes elles-mêmes montrent la réussite du projet. Nsimire Naburanga Nicole, membre de l’association de femmes MAMAN TONDE-TONDE, a expliqué comment les femmes ont désormais la capacité de préparer des pépinières et de participer à la restauration du paysage.

Espérance Murandikire, présidente d’ECOLOFEMME, a souligné que les brochures ont aidé les femmes à acquérir des compétences génératrices de revenus, ce qui leur permet de payer les frais de scolarité de leurs enfants. Espérance a également insisté sur le fait que les brochures ont contribué à renforcer la confiance des femmes. Certaines d’entre elles estiment désormais qu’elles peuvent faire appel à leurs chefs locaux pour aborder des questions importantes, ce qui favorise un changement significatif.

Pour plus de détails sur cette campagne : Campagne de sensibilisation sur l’utilisation de la boite à images.

Le potentiel de ces brochures infographiques est illimité, et elles offrent la possibilité de tenir les groupes analphabètes informés et de les impliquer dans toutes les questions pertinentes. La FCPEEP espère que ce concept sera adopté par de nombreux autres, afin de garantir une participation équitable et significative à la gouvernance forestière.

Légende des photos :

  1. Atelier 2024 sur la « boîte à images » du FCPEEP
  2. Cheffe Pygmée, Salomé M’Ntavuna
  3. Livret d’infographie de l’atelier organisé par le FCEPEEP le 24 septembre 2024