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Bisphénol A: le Conseil constitutionnel rend une (surprenante) décision

Bisphénol A: le Conseil constitutionnel rend une (surprenante) décision

Attaquer le principe de précaution devant le juge, sous l’angle de la liberté d’entreprendre: nous n’en rêvions pas, mais des industriels du plastique l’ont fait. Suite à un recours provoqué par Plastics Europe, association européenne de fabricants de plastique, le Conseil constitutionnel français vient ainsi de rendre son avis sur la valeur constitutionnelle de la loi interdisant la mise sur le marché, l’importation et la fabrication de contenants alimentaires avec du bisphénol A. Si le Conseil valide la loi comme étant partiellement constitutionnelle, il estime que l’interdiction de fabrication de contenants avec du BPA est non constitutionnelle. Une décision surprenante que Nesting vous décrypte.

La question prioritaire de constitutionnalité pour des lois déjà entrées en vigueur

Depuis une révision de la constitution française en 2010 , il est possible de soulever la valeur constitutionnelle d’une loi déjà entrée en vigueur, devant le juge à l’occasion d’une procédure en cours : c’est ce qu’a a fait l’association Plastics Europe. En mai 2015, elle demande donc au Conseil d’Etat, dans le cadre d’un recours en annulation pour excès de pouvoir d’une note de la DGCCRF, de renvoyer au Conseil Constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité concernant les lois de 2010 et 2012 sur le bisphénol A, qui suspendent la commercialisation, la fabrication et l’importation de tout conditionnement alimentaire contenant du bisphénol A. C’est ainsi les articles du Code de l’environnement et du Code de la santé publique qui résultent de cette loi sont attaqués. Le Conseil d’Etat décide du renvoi de la question au Conseil Constitutionnel , mais seulement pour l’article 1er de la loi de 2010 – que nous appellerons « loi BPA ».

Oui, l’interdiction de la vente et l’importation de contenants alimentaires avec du BPA est constitutionnelle…

Plastics Europe souhaite faire dire au Conseil Constitutionnel que la loi BPA est anticonstitutionnelle, car elle porte atteinte à la liberté d’entreprendre par une interprétation excessive du principe de précaution. Un principe bien souvent violemment attaqué malgré sa valeur constitutionnelle depuis son intégration dans la Charte de l’environnement de 2004, elle-même appartenant au « bloc de constitutionnalité » (la Constitution de 1958 et les textes et principes auxquels renvoie son préambule).
Le juge constitutionnel estime que la mesure de suspension de la commercialisation de la loi BPA est conforme à la Constitution: elle respecte le principe de proportionnalité et l’objectif de protection de la santé de la femme et de l’enfant (inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 qui fait partie du bloc de constitutionnalité). » Jusque là, le raisonnement du juge est logique et nous ravit : il estime que l’interdiction de vente et d’importation de contenants avec du BPA est adéquate pour protéger la santé des populations, notamment les plus sensibles aux expositions aux perturbateurs endocriniens [femmes enceintes, jeunes enfants ndlr]. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette interprétation« , déclare Anne Barre, co-présidente de WECF France.

… contrairement à l’interdiction de fabrication et d’exportation qui est anticonstitutionnelle !

Mais la suite se corse: le juge estime ensuite que l’interdiction de fabrication et d’exportation de contenants avec du BPA est anticonstitutionnelle. Et pourquoi donc? Parce que cette interdiction ne répond pas à l’objectif poursuivi: celui de protection de la santé publique! Le juge estime que la commercialisation de contenants avec du BPA a lieu à l’extérieur des frontières françaises, avec ou sans le concours des fabricants de contenants alimentaires au BPA français. Et donc que l’interdiction de produire et d’exporter ne protège pas la santé de la population (française s’entend – c’est toute la nuance). L’atteinte de la loi est donc jugée comme portant atteinte à la liberté d’entreprendre de manière injustifiée. » « On a le sentiment étrange que le juge constitutionnel s’arrête à une interprétation assez stricte de la loi dans la seconde partie de sa décision. Un peu comme s’il passait l’étrange message : « mauvais pour nous, mais bon pour vous! ». Le juge se prononce sur la conformité de la mesure avec l’objectif poursuivi, certes, dans le strict cadre de sa compétence. Son raisonnement est juste en fait, mais on aurait souhaité une logique plus globale avec un parallélisme de la protection accordée sur le territoire national et en dehors. Pas deux poids deux mesures. Ironie du sort: les industriels obtiennent l’autorisation de fabriquer des contenants avec du BPA alors qu’ils affirment depuis des années qu’ils n’en fabriquent plus en Europe! A quoi cette mesure peut-elle donc leur servir? », explique Elisabeth Ruffinengo, responsable plaidoyer WECF France.

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