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Perturbateurs endocriniens: la Commission européenne condamnée par la Cour de justice de l’UE

Perturbateurs endocriniens: la Commission européenne condamnée par la Cour de justice de l’UE

Ce 16 décembre, la Cour de justice de l’UE a rendu un arrêt qui fera date: elle a reconnu que la Commission européenne était coupable de violation du droit de l’UE pour ne pas avoir adopté une définition des perturbateurs endocriniens à la date prévue par le règlement biocides. Pourquoi cette affaire est-elle importante et singulière, et quelles pourraient être les suites de ce jugement pour la santé publique et la sécurité des populations exposées aux perturbateurs endocriniens?

Quand la Commission, gardienne des traités, viole le droit de l’Union

Comme nous l’avons déjà évoqué dans un dossier d’actu « Perturbateurs endocriniens: le débat continue », l’affaire est inédite car les recours en carence sont très rares. Le recours en carence est exercé par des Etats membres, d’autres institutions européennes, et dans certains cas des particuliers/entreprises qui forment un recours contre une institution européenne pour inaction. Ici, c’est la Suède qui en 2014 a formé un recours contre la Commission européenne pour inaction sur la question des perturbateurs endocriniens. Ce type de recours est très rare, d’autant plus contre l’institution qui est par nature chargée de veiller au bon respect des traités et également d’agir au nom de l’Union. Alors comment le juge européen en arrive à cette conclusion?

Le règlement biocides prévoyait une obligation « claire, précise et inconditionnelle »

Bien souvent le juge européen est confronté à des problèmes d’interprétation de la législation, notamment lorsque les éléments rédactionnels sont incertains ou pas assez précis: il doit faire appel à un faisceau d’éléments pour interpréter le texte, à la lumière du contexte, de l’objectif du législateur, etc. Mais dans le cas présent, rien de tout cela: le règlement biocides mentionne en effet expressément l’adoption par la Commission d' »actes délégués » de « spécification des critères scientifiques pour la détermination des propriétés perturbant le système endocrinien » au plus tard le 13 janvier 2013″. La Commission a beau plaider le fait que cette date serait un objectif souhaitable ou encore que les Etats ont la possibilité de prendre des clauses de sauvegarde (aller plus loin que la (non-) réglementation européenne ou encore que des « critères provisoires » s’appliquent… la cour estime – et le bon sens du juge qui interprète un texte de manière rigoureuse parle ici – que l’obligation est claire, précise et inconditionnelle. En effet, hormis la Commission, tous les autres acteurs avaient compris qu’il s’agissait si l’on peut dire d’une « date-butoir ». La Commission aura donc vainement tenté d’expliquer au juge par exemple que le 7ème programme d’action pour l’environnement qui fixait un horizon 2020 une législation pertinente pour les perturbateurs endocriniens… aurait justifié le report de l’adoption prévue en 2013! Le juge rappelle la différence majeure entre: acte à valeur juridique contraignante – un règlement, en l’espèce le règlement biocides – et acte d’orientation des politiques – le 7ème programme d’action Environnement. La Commission soulève d’autres arguments, rejetés par le juge qui feront l’objet d’un de nos dossiers d’actu à venir.

Impact du jugement sur l’avènement d’une définition scientifique des PE?

Dire le droit, voilà ce qu’a fait le juge, qui s’est vu obligé de rappeler à l’ordre l’institution gardienne des Traités de l’UE. Il s’est prononcé sur la forme pour ainsi dire: la Commission avait-elle ou non l’obligation d’agir? Les conséquences sont assez floues, puisque des sanctions contre la Commission ne sont pas prévues. Ce jugement fournit en tout cas des arguments supplémentaires à tous ceux – et ils sont nombreux qui s’impatientent depuis des mois de l’attitude de la Commission européenne – d’abord la Commission Barroso puis la Commission Juncker, qui reporte l’adoption de la définition aux calendes grecques. Scientifiques, parlementaires, ONG, journalistes, Etats membres… autant d’acteurs qui pressent la Commission d’agir. la Suède a réagi par un communiqué

En filigrane: la santé publique sacrifiée à des intérêts économiques à très cour terme?

De quoi s’agit-il finalement? Et ici, nous dépassons le rôle dévolu au juge dans cette affaire. Le dossier des perturbateurs endocriniens a été mis au point mort par la Commission européenne, à tel point que 4 Etats (Danemark, France, Pays-Bas, Finlande), le Conseil et le Parlement ont soutenu le recours de la Suède. Le blocage sur ce dossier de santé publique majeur est en effet totalement inadmissible, et a déjà des conséquences lourdes puisqu’il retarde d’autant la protection des populations et des écosystèmes contre ces pollutions. «  En reléguant au second plan la définition « scientifique » quasiment finalisée pour lancer une obscure « étude d’impact » sous la pression de milieux industriels, on peut estimer que la Commission a agi contre l’objectif de « garantir un haut niveau de protection de la santé » inscrit dans les traités. A ce stade ont eu lieu et été publiés: une « consultation publique », une « feuille de route », une liste de 700 substances soupçonnées d’effets PE qui seront passées au crible par le JRC (Joint Research Center), et ce n’est pas fini. Alors que la Commission est hyperactive sur le dossier de l' »innovation » et du « REFIT » (la remise en forme (sic) ou « amincissement » des réglementations – issues de son programme d’action 2016, on souhaiterait la voir déployer la même activité dans le cadre de ses obligations légales en matière de perturbateurs endocriniens.« explique Elisabeth Ruffinengo, responsable plaidoyer WECF France. Affaire …. à suivre!

sources:

Communiqué de presse, Cour de justice de l’UE, 16 décembre 2015

Arrêt du Tribunal n° 145/2015 : 16 décembre 2015, affaire T-521/14 Suède contre Commission-