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S’il ne reste que des décombres

S’il ne reste que des décombres En cette période de bouleversements intenses, remettant profondément en question notre système et nos façons de vivre, nous vous partageons cet article rédigé par notre collègue du bureau allemand, Julika Zimmermann, reflétant notre analyse et nos positionnements communs au sein du réseau WECF.

Un concept pour la vie après Corona

Notre bureau est situé au cœur de Munich, dans un centre ville très dense. De la fenêtre de notre salle de réunion, on ne peut voir que les murs froids de trois immeubles qui entourent une petite cour intérieure cour sombre, avec un puits de jour. Même en été, il n’y a presque pas de lumière dans cette cour, dont le sol est couvert de mousse, humide et froid. Néanmoins, une plante y pousse, seule, lentement. Elle n’est pas très belle, mais elle vit et elle pousse en direction du carré de ciel au-dessus d’elle.

Cette plante est comme une allégorie de nos combats actuels. Les combats pour la justice et les droits humains commencent généralement dans l’ombre, dans des endroits calmes ou oubliés. Mais bien que notre bureau soit exigu et que la lumière soit rare (et que l’ampoule dans le couloir soit généralement cassée), nous nous sentons très à l’aise ici. Nous sommes des femmes de trois générations et de trois continents différents. Nous avons des histoires différentes, des opinions différentes, des connaissances différentes. Ce qui nous unit, c’est la vision d’un avenir commun, que nous partageons avec des millions de personnes dans le monde entier. Dans cet espace protégé, nous construisons nos projets, nourris par les succès antérieurs des féministes et des militant.es des droits humains qui nous ont précédé.es.

Depuis que la crise de Covid-19 a transformé notre vie quotidienne, nous travaillons à la maison, entre nos quatre murs. Mais nous ne sommes pas séparées les unes des autres. Car de la où nous sommes, nous pouvons voir avec une rare clarté toutes les crises que le monde doit surmonter.

La crise… après la crise… après la crise

Notre économie est en chute libre. Elle est plus mal en point que lors de la dernière crise mondiale. En fait, elle n’est pas mieux en point que notre plante pitoyable dans la cour froide et sombre devant la fenêtre de notre bureau. La crise de Covid-19 est arrivée de manière totalement inattendue et a pris le dessus sur nos vies. Des gens sont morts et d’autres ne se remettront pas de cette pandémie pour d’autres raisons. Beaucoup de gens craignent pour leur emploi, les travailleur.ses indépendant.es craignent pour leur existence et on peut se demander si nous revivrons un jour des rassemblements sociaux ou des événements culturels ensemble, comme avant, ou même si les théâtres, les cinémas et les salles de concert seront obligés de fermer définitivement.

Oui, cette pandémie était inattendue, mais était-elle vraiment surprenante ? Depuis des décennies, nous passons d’une crise à l’autre, et nous sentons la menace du changement climatique comme une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Dans la panique nous cherchons de l’air, et de la lumière, et les politiciens agissent comme on attend qu’ils le fassent : ils sauvent l’économie, ils sauvent l’emploi, ils sauvent les chaînes d’approvisionnement. En Allemagne, on a remis Lufthansa et l’industrie automobile sur les rails à coups de milliards d’euros. Aux Pays Bas, le gouvernement investit dans les infrastructures fossiles pour sauver son géant pétrolier Shell. Le trafic aérien, les voitures, le pétrole – c’est donc là que les investissements affluent, et tout le monde soupire de soulagement lorsque BMW, Daimler et Cie sont renfloués. En attendant la prochaine crise.

Du courage pour la faiblesse

Notre système ne s’est pas révélé particulièrement résilient. Notre bureaucratie s’est effondrée lorsque en 2015 des centaines de milliers de réfugiés sont arrivés en Europe. Notre système financier s’est effondré lorsque la bulle du crédit a éclaté sur le marché immobilier américain. Et en ce moment même, notre économie s’effondre parce qu’un virus se propage dans le monde entier. Ces crises semblent différentes et pourtant elles ont toutes une chose en commun : leur origine réside dans notre logique de marché patriarcale et capitaliste. Mais malgré ces expériences des 20 dernières années, nous nous accrochons toujours à notre modèle capitaliste axé sur la croissance. Non seulement c’est illogique, mais c’est tout simplement stupide.

La pandémie de Covid -19 a mis beaucoup de choses en mouvement et a révélé de nombreuses vulnérabilités, et c’est positif. Ceci montre que les aides financières peuvent en théorie être versées quand cela est nécessaire – mais malheureusement elles vont encore dans la mauvaise direction. Cela montre que notre système de santé est résistant – pourtant, le fardeau retombe en grande partie sur un groupe en particulier : les femmes. Cela montre que nous pouvons être solidaires dans nos quartiers, avec notre famille et nos amis, mais qu’il n’y a pas d’aide au-delà des frontières européennes.

La meilleure chose qui puisse nous arriver maintenant, c’est que nous apprenions. Que la politique et notre société acceptent ce qui a été prouvé scientifiquement depuis longtemps : la terre est finie. Nos ressources sont limitées. Une forêt ne peut être abattue qu’à la vitesse à laquelle une nouvelle forêt peut repousser. Facile à comprendre…c’est à la portée de tous les enfants. L’eau potable devient de plus en plus rare à cause de la contamination chimique. Non seulement les ressources de la terre sont finies, mais aussi les ressources humaines. Le double fardeau du travail rémunéré et du travail de soins non rémunéré est immense et difficilement gérable en temps de crise. Les violences domestiques sont difficiles à éviter en raison des couvre-feux imposés. Leur augmentation extrême pendant cette crise montre que le potentiel de violence se trouve déjà dans de nombreux ménages en temps « normal ».

Ce dont nous avons besoin s’appelle l’éco-féminisme

Aucun.e d’entre nous n’a choisi la situation actuelle. Personne n’a voulu que cela se produise. Mais en aucun cas nous ne devons refaire les mêmes erreurs. Nous ne pouvons plus compter sur l’industrie automobile, car même si tout le monde conduisait une voiture électrique, ce ne serait pas une solution à notre problème. Oui, cela va d’abord coûter des emplois. Mais à long terme, les emplois ne diminueront pas, ils se transformeront et se déplaceront vers de nouveaux secteurs. Nous avons besoin d’idées pour une mobilité propre, des solutions énergétiques durables et décentralisées et une redistribution équitable de toutes les ressources, qu’il s’agisse d’argent, de terres, d’électricité ou d’un toit au-dessus de nos têtes. Nous avons besoin d’une interdiction de tous les pesticides et d’une protection permanente de nos eaux souterraines et de notre environnement. Ce n’est que lorsque les animaux sauvages auront suffisamment d’espace dans leur environnement naturel que nous pourrons éviter la transmission d’autres virus.

Tout cela suppose que nous ne nous focalisions plus sur une économie de croissance, mais sur les biens communs, la protection de l’environnement et les droits humains. Cela exige que nous nous débarrassions du mode de pensée patriarcal et capitaliste. Cela demande que les décisions dans le monde économique et politique soient fondées sur des valeurs telles que l’inclusion, les soins, la durabilité et la santé, plutôt que sur l’ l’irresponsabilité, la détermination et la domination. Cela signifie également que tout le travail non rémunéré doit être équitablement réparti entre les sexes, qu’il faut remettre en question les rôles genrés et ouvrir des espaces de réflexion sur les masculinités critiques, afin que chacun.e puisse se développer indépendamment des préjugés patriarcaux de genre.

Nous sommes des femmes qui ne se fatiguent jamais d’être en colère. Nous ne ménageons pas notre peine pour construire un monde sain et juste pour toutes et tous. Nous sommes comme la plante devant la fenêtre de notre bureau, un organisme qui pousse même dans l’obscurité et qui s’élance vers le ciel jusqu’à ce qu’il fleurisse enfin.

Aujourd’hui, notre société est dans la rare position de pouvoir choisir quelle plante elle veut fertiliser et faire pousser : le modèle capitaliste et patriarcal endommagé et déjà maintes fois rafistolé, ou les idées résilientes des structures éco-féministes ? Personne ne peut savoir où notre nouveau chemin nous mènera. Mais il semble logique et sage d’en prendre un nouveau lorsque l’ancien nous mène invariablement vers un tas de décombres. Des modèles alternatifs existent déjà. Il faut juste se lancer. Et si nous avançons doucement, en mettant un pied devant l’autre, en veillant à ce que tout le monde suive, quels que soient son origine, son sexe ou son état de santé, nous avons  surement de bonnes chances d’atteindre ce petit coin de paradis auquel nous aspirons. 

Julika Zimmermann, WECF Allemagne

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