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Quel bilan pour la Charte de l’industrie de la mode, un an après son lancement?

Quel bilan pour la Charte de l’industrie de la mode, un an après son lancement? «Nous savons qu'en tant qu'entreprise, nous faisons partie du problème. Mais nous voulons aussi faire partie de la solution » - Pernilla Haldin, vice-présidente de H&M.

Qu’est ce que la Charte de l’industrie de la mode pour l’action climatique?

Au cours de la COP 24 (Conférence des Parties qui s’est tenue à Katowice, Pologne, en décembre 2018), l’industrie de la mode a lancé une Charte pour l’action climatique en partenariat avec la CCNUCC (Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique). Elle comporte 16 engagements, dont le principal est de réduire de 30% les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030 dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement de l’industrie de la mode. Un bon «point de départ», selon Lindita Xhaferi-Salihu, représentante de la CCNUCC.

Les 16 engagements de la Charte

Des figures majeures de l’industrie textile étaient réunies autour de la table : PUMA, H&M, Burberry, Hugo Boss, Maersk, ou encore SAC (Sustainable Apparel Coalition). Cependant, les signataires ne sont pas seulement des entreprises privées (marques, fournisseurs, transporteurs ou encore agriculteurs) mais également des organisations de la société civile. Ils ont tous convenu qu’il était temps d’agir, la lutte contre le changement climatique étant un problème global et le seul moyen de réussir cette transition pour le secteur de la mode étant de développer des partenariats entre acteurs du textile. Cette Charte propose une vision commune, unifiée et cohérente pour poser les bases des actions futures. 

En 2018, les observateurs et médias présents lors de la déclaration ont salué les engagements pris par l’industrie, sans pour autant se voiler la face. En effet, des préoccupations demeurent:

  • L’ensemble du secteur n’est pas signataire de la charte; à l’époque, seulement une poignée de parties prenantes l’avaient signée.
  • Les ambitions sont relativement faibles. Stella McCartney, fondatrice de la marque de luxe du même nom et précurseuse dans l’éco-responsabilité, à l’initiative de cette charte avec les Nations Unies, déclarait que : «les objectifs de cette charte sont réalisables : je les applique déjà dans mon entreprise! ” (Source: ELLE HEBDO semaine 21/12/18)
  • L’engagement des marques se fait sans toutefois reconsidérer leur modèle économique, le concept de fast-fashion, la mission de leur industrie ou le renouvellement constant des tendances. 
  • La Charte ne dispose que d’une valeur morale et symbolique et est donc non-contraignante pour ses signataires.

Un an après, le bilan dressé lors de la COP25

Durant la COP 25, qui a eu lieu en décembre 2019 à Madrid, le sujet de la mode et de l’industrie textile, pourtant l’une des plus polluantes au monde, est resté cantonné à trois évènements parallèles organisés par la société civile (sous forme de conférences), et n’a pas fait partie des sujets principaux de négociations entre Etats.

Une de ces conférences a tout de même eu pour objet de présenter une évaluation de la Charte, un an après son lancement. Et selon Stefan Seidel, président du comité de pilotage de la Charte (en charge de sa mise en oeuvre) et directeur du département développement durable chez Puma, des efforts sans précédent ont eu lieu au cours de l’année écoulée. 

En effet, et bien que ce ne soit pas un des seize engagements, la Charte a pour mission de conduire l’industrie de la mode vers des émissions neutres de gaz à effet de serre d’ici 2050, en phase avec la trajectoire du maintien du réchauffement climatique en dessous de 1,5 degrés. Les participants présents à la conférence (entreprises mais aussi fournisseurs, fabricants et organisations de la société civile) ont ainsi pu partager des solutions existantes et des initiatives innovantes pour atteindre cet objectif. 
L’avancement majeur se trouve dans le nombre de signataires, passé de 43 signataires en 2018 à 120 lors de la COP 25 en décembre 2019.

Le fonctionnement du Comité de pilotage de la Charte

Sept groupes de travail[1] ont été créés, visant les étapes de la chaîne d’approvisionnement où la majorité des émissions de carbone sont produites, comme la fabrication, la logistique ou les matières premières. Il s’agit ainsi d’agir sur les leviers principaux de pollution, et non pas sur des actions de type ‘RSE’ ayant un faible impact (comme la réduction les émissions au sein du siège social de l’entreprise). Trente objectifs et indicateurs clés de performance ont été développés afin de mesurer et reporter les avancées. Lors de cette conférence à la COP25, chaque groupe de travail a présenté ses avancées principales:

L’énergie est l’une des problématiques principales car l’accès à une énergie propre est essentiel pour tous les partenaires industriels. Le groupe de travail dédié à cette thématique travaille sur l’élaboration d’objectifs de réduction de la consommation d’énergie, ainsi que sur l’élimination du charbon, principalement dans six pays cibles où l’industrie textile a le plus de fabricants. Elle promeut également des conseils et directives pour passer aux énergies renouvelables au niveau des gouvernements locaux.

Concernant les matières premières utilisées dans l’industrie textile, le groupe de travail dédié élabore des recommandations bas carbone tels que l’utilisation du polyester ou coton recyclés. Toutefois, il souligne un manque d’informations régionales sur les différents matériaux et un besoin d’identifier différents partenaires de l’industrie pour évaluer les différents matériaux.

Un autre groupe travaille sur la décarbonisation, afin de fournir un document facilitant la compréhension des concepts de développement durable pour les petites et moyennes entreprises et fournisseurs, qui n’ont pas d’employés dédiés à ce sujet. L’un des premiers rapports sera bientôt disponible en ligne (ils étaient uniquement disponibles pour les signataires auparavant). Laila Petrie, Vice-présidente du comité de la Charte, coprésidente du groupe de travail sur la décarbonisation et responsable des partenariats chez WWF international, a expliqué que le travail en 2019 s’est focalisé sur le rassemblement de toutes les initiatives qui existaient déjà, afin de ne pas faire de doublon inutile. L’année 2020 sera dédiée à la recherche de nouvelles solutions, pour construire une voie de décarbonisation à l’échelle du secteur.

Le groupe de travail sur l’engagement politique œuvre à la création d’une plateforme pour les parties prenantes avec, par exemple, un travail de lobby pour que la Chine mette en place des politiques climatiques conformément à l’Accord de Paris. Des marques chinoises se sont engagées pour la première fois dans ce programme mondial, en suivant des précurseurs comme Stella McCartney ou UNIQLO qui ont pour objectif d’atteindre la neutralité carbone dès 2025. Pernilla Halldin, vice-présidente de ce groupe et chargée des Affaires publiques et de l’engagement chez H&M (lire son interview ici), a appelé à travers un communiqué final les gouvernements et les dirigeants politiques à passer à  l’action et à collaborer, notamment pour éliminer progressivement les énergies fossiles.

Conclusion: un bilan mitigé avec de grandes ambitions mais peu de moyens concrets pour y arriver

La Charte est la seule initiative avec une approche globale incluant de nombreuses parties prenantes. La collaboration est nécessaire dans cette industrie où les chaînes de production sont si complexes et fragmentées.

Néanmoins si elle fixe de grandes ambitions, elle se concentre principalement sur la réduction de la consommation d’énergie, notamment au niveau des sous-traitants. Près de 60% des émissions proviennent de la chaîne d’approvisionnement et les grandes entreprises doivent donc soutenir cette transition. Le but est donc d’étendre sa portée, afin que même les fournisseurs tiers (les plus éloignés du siège) soient inclus, comme par exemple le fabricant bangladeshi au tout début de la chaîne de production.

En outre, si l’énergie est certes une problématique importante, elle est loin d’être la seule au niveau de l’industrie textile: la Charte ne se focalise pas assez sur la promotion de l’économie circulaire, la réduction des déchets ou l’amélioration des conditions sociales des travailleur.euse.s.

Il faut également ajouter qu’un des grands bémols est l’absence de mécanisme de suivi et de contrôle, signifiant que les signataires n’ont pas de comptes à rendre. Toutefois, interrogé sur le sujet, le président du Comité de pilotage a déclaré vouloir rendre ce reporting rapidement obligatoire et contraignant. Des groupes de travail en préparent notamment un sur la réduction des émissions de GES et les résultats basés sur l’activité, d’ici la prochaine COP. 

Enfin, le manque d’informations disponibles en ligne sur la Charte, son fonctionnement et ses réalisations est regrettable, au vu de l’importance de la mobilisation des ces acteurs pour assurer une transition écologique durable pour toutes et tous. 


[1] Le chemin vers la décarbonisation et la réduction des émissions de GES / Les matières premières / La fabrication, l’énergie / La logistique / L’engagement politique / Mobilisation des outils et des initiatives existants / Promouvoir une action plus large en faveur du climat


Cet article a été écrit par Laura Gauvrit, membre du Collectif Démarqué, dans le cadre d’un partenariat avec Wecf France.