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Après 40 ans, une décision de justice sur la Dépakine

Après 40 ans, une décision de justice sur la Dépakine Selon le tribunal de Paris, le laboratoire Sanofi n’aurait pas informé les femmes enceintes des risques liés à la prise d’antiépileptiques sur le développement de leur fœtus.

Dépakine et épilepsie

L’épilepsie est une maladie neurologique qui touche environ 600 000 patient·es en France. On estime à 100 000 le nombre de patientes épileptiques en âge de procréer. Différents médicaments sont disponibles pour traiter l’épilepsie. Certaines femmes ne pourront arrêter leur traitement lors de leur grossesse. Il est donc légitime qu’elles soient informées des effets du traitement afin de mener une grossesse dans les meilleures conditions possibles.

En 2019, l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament) avait déjà mis en garde en cas de prise d’antiépileptiques contenant du valproate au cours de la grossesse. Puis, l’Agence avait examiné l’ensemble des antiépileptiques vendus en France. Son rapport de 2019 a couvert 21 substances (détaillés dans notre article : Antiépileptiques & grossesse : l’Ansm élargit ses mises en garde). Puis, c’était au tour de l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) de se pencher sur la question. Il rend un rapport en septembre 2021, dont un des points est l’effet transgénérationnel de la prise de Dépakine pendant la grossesse. L’étude a montré qu’il y avait bien des effets de santé plus vastes et à long terme des descendances exposées aux antiépileptiques pendant la grossesse.

Sanofi a malheureusement continué de commercialiser la Dépakine, alors même que les risques de son utilisation pour le fœtus avaient été reconnus… Il peut provoquer des malformations congénitales et des troubles neurodéveloppementaux pour les enfants de femmes en ayant consommé durant leur grossesse. Le tribunal considère que ces troubles causés par le valproate de sodium, principe actif de la Dépakine, « étaient régulièrement mentionnés dans la littérature médicale à partir de 1984 ». Sanofi aurait donc dû modifier les informations données aux femmes enceintes ainsi qu’aux professionnel·les de santé. Ce n’est pourtant qu’en 2006 que la Dépakine sera déconseillée en cas de grossesse dans la notice d’utilisation du médicament.

Action contre Sanofi

Après une première victoire judiciaire en 2017 par une famille individuelle, une action de groupe est intentée la même année contre Sanofi. C’est la première fois que l’action de groupe instituée par la loi N°2016-41 est utilisée en matière de santé avec succès. Cette action, portée par l’Association d’Aide aux Parents d’Enfants souffrant du Syndrome de l’anticonvulsivant, a mené au jugement rendu le 5 janvier 2022 par le Tribunal de Paris. Ce jugement a déclaré Sanofi responsable d’un manquement à son obligation de vigilance et d’information. Ainsi, les membres de l’association pourront être indemnisés des préjudices subis.

Néanmoins, la société pharmaceutique a décidé de faire appel de cette décision. Cela signifie que le jugement serait amené devant une cour d’appel et en attendant les membres de l’action de groupe ne toucheront pas les dommages et intérêts.

Parallèlement à cette action, une enquête pénale avait été ouverte contre Sanofi, ainsi que l’ANSM pour « tromperie aggravée », « blessures involontaires » et « homicides involontaires ». C’est dans le cadre de cette même enquête que la chambre d’instruction a fait la demande d’une seconde expertise sur la Dépakine. Si son issue pourrait être déterminante, les parties à l’action de groupe espèrent que le jugement rendu en janvier 2022 sera pris en compte pour incriminer Sanofi. le groupe pharmaceutique ne veut pas se dire totalement responsable et rejette la faute sur l’ANSM, gendarme sanitaire de l’État, qui aurait aussi sa part de responsabilité. Le laboratoire se dit avoir « toujours été transparent en alertant les autorités de santé et en sollicitant à plusieurs reprises des modifications des documents d’information de la Dépakine à destination des patientes et des professionnel.les de santé ». Il assure que « les documents d’information ont été modifiés conformément à l’évolution de l’état des connaissances et aux décisions des autorités de santé de l’époque ».

Une maigre réparation pour un défaut de précaution

Ce jugement montre encore une fois l’insuffisance de la prise en compte du principe de précaution en matière de santé publique. En effet, en juillet 2020 l’État a créé un fonds de réparation dans le cadre de l’Office national d’indemnisation, permettant de réparer les préjudices. Pour autant, cette réparation matérielle n’est guère comparable à l’absence de maladie et de vie en bonne santé. Si cette action judiciaire est prometteuse s’agissant d’autres maladies liées à des expositions chimiques, elle montre que les études scientifiques ne sont pas assez rapidement prises en considération pour éviter de telles catastrophes sanitaires. D’autant qu’encore une fois (comme dans le cas du DES, voir notre article sur le sujet), c’est la santé des femmes qui n’a pas été suffisamment prise en compte. De manière plus inexpliquée encore, une expertise supplémentaire a été demandée dans le cadre de la procédure pénale (alors que les données scientifiques sont nettes aujourd’hui avec 3 rapports institutionnels comptés dans cet article). En plus de la première expertise, la chambre d’instruction a en effet demandé au juge de faire réaliser une seconde expertise qui apportera probablement des conclusions différentes de la première qui a conduit à la mise en examen du laboratoire.

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