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Genre et Cancers professionnels: une approche qui a du sens grâce aux travaux du GISCOP 93

Genre et Cancers professionnels: une approche qui a du sens grâce aux travaux du GISCOP 93 La table-ronde "Genre et cancers professionnels" organisée par WECF au Palais du Luxembourg et parrainée par la sénatrcice Aline Archambaud, a permis de lever le voile sur un sujet trop souvent abordé, qui est pourtant un véritable enjeu de santé publique.

Chaque cancer est une accumulation d’expositions

Un médecin ne peut donc pas choisir entre plusieurs expositions, par exemple le facteur tabac ne saurait prévaloir sur un autre facteur cancérogène a priori. Concernant la dimension genre, les mythes ont la vie dure : ainsi les femmes seraient moins exposées que les hommes à des produits cancérogènes. Or, sur quoi se base cette croyance ? C’est surtout l’absence de données sur les expositions des femmes qui est un obstacle à la connaissance, alors même que près de 80% des femmes entre 25 et 49 ans exercent une activité professionnelle. Ce seul chiffre suffit d’ailleurs à justifier une approche genre, d’autant plus dans une période où la sous-traitance, le travail temporaire et les temps partiels rendent plus difficile la reconstitution des parcours professionnels.

Comme l’explique le Dr Annie Thébaud-Mony, sociologue, directrice de recherche honoraire à l’Inserm, et engagée de longue date pour la reconnaissance des maladies professionnelles: « La naissance du GISCOP est l’aboutissement de 20 ans de travail. Le travail d’une équipe pluridisciplinaire sur les cancers est essentiel, d’autant qu’une petite partie seulement des subventions de recherche est allouée aux cancers et que les registres du cancer ne couvrent plus que 10% de la population française

Le travail de l’équipe est à la fois rétrospectif, par la reconstitution du parcours du travailleur, et prospectif de déclaration et de reconnaissance des maladies ; Mais attention, comme le précise Annie Thébaud-Mony : « Il n’est pas question de demander au travailleur de citer des produits qu’il ne connaît pas. Certains secteurs, particulièrement occupés par des femmes, sont négligés en termes de recherche: qu’en est-il par exemple des activités de nettoyage ou de gestion des déchets? ». Charles Olivier Betansedi, étudiant-chercheur membre du GISCOP, constate également qu’ « En épidémiologie, les secteurs étudiés sont plus masculins et qu’on observe une généralisation des résultats obtenus chez les hommes. »

Les victimes doivent apporter la preuve de leur exposition et de ses conséquences, mais les traces ayant disparu, c’est un véritable parcours du combattant pour aboutir à une reconnaissance.


Plusieurs facteurs contribuent au non-recours au droit à la réparation, comme le détaille Anne Marchand, doctorante en histoire et membre du GISCOP : « L’ignorance de l’existence du droit, d’y être éligible joue un rôle. Ensuite, rien ne distingue un cancer professionnel d’un cancer en termes médicaux. Dématérialisation, externalisation et technicisation des démarches sont à l’œuvre : en Seine Saint-Denis, deux tiers des points d’accueil de la CPAM ont été fermés. On a pu voir des dossiers refusés pour une simple question de terminologie. ». Une analyse largement partagée par le Dr Noëlle Lasne, médecin du travail depuis plus de 13 ans qui lutte sur le terrain au quotidien pour faire reconnaître des maladies professionnelles. Confrontée aux multiples formulaires et à leur complexité, elle a mis en place une « véritable stratégie mobilisant des moyens cliniques, humains et du temps pour décortiquer les dossiers, remplir l’intégralité des formulaires et des trois certificats, avec quarante heures de travail pour une seule pathologie ». Un pur scandale pour cette femme de terrain qui fait un amer constat: « On use, on casse, la responsabilité est momentanée, c’est l’assureur qui paye. Les malades du cancer eux sont invités à retravailler, sous prétexte que « ça leur ferait du bien », pourtant la fatigabilité du cancer est là : retravailler peut faire du bien…. ou pas ! ».

La parole des professionnels malades est précieuse pour bien comprendre la situation actuelle : ainsi le témoignage de Dominique Enjalbert, de l’association EDATET[2]. Technicienne télécom depuis 1975, en charge de maintenance des réseaux, elle est alertée en 2005 par le nombre de cancers déclarés chez des travailleurs de France Télécom, avant de souffrir elle-même d’un cancer du sein en 2007. En cause, les parafoudres radioactifs, pourtant interdits en 1978, mais encore stockés en grand nombre dans des centraux téléphoniques et manipulés sans précaution. Amiante, benzène, isocyanates, arsenic comptent parmi les toxiques variés auxquelles les victimes ont pu être exposées. Entamée en 2011, sa démarche a abouti à une reconnaissance de maladie professionnelle, mais l’expert chargé de fixer le niveau de préjudice a refusé de le faire, récusant la décision sans avancer d’argument. Or différents facteurs, dont l’exposition à des perturbateurs endocriniens, sont mis en cause dans le cancer du sein: « Comment ne pas s’interroger sur la prévention des expositions des femmes aux perturbateurs endocriniens en milieu de travail : nous souhaitons que la Stratégie Nationale Perturbateurs endocriniens pour laquelle WECF France s’est battue ces derniers mois, et la future Loi de Santé Publique donnent les moyens adéquats pour mieux connaître ces expositions et surtout les prévenir. Dans ce sens, les travaux du GISCOP sont indispensables et doivent être pérennisés.», commente Elisabeth Ruffinengo pour WECF France.

Les scientifiques sont des acteurs essentiels dans la reconnaissance des cancers professionnels, masculins comme féminins. Le Dr Annie Thébaud-Mony, regrette la place donnée par des scientifiques au paradigme du doute, donnant un rôle dévoyé à la science dans le conflit de normes actuel : normes économiques contre normes de protection des droits humains.  Pour elle, une conclusion évidente s’impose : « Les cancérogènes connus doivent disparaître aujourd’hui, car on fabrique aujourd’hui les cancers de demain. ».

RAPPEL DES INTERVENANTS:


Introduction de la conférence:
Aline Archimbaud, Sénatrice marraine de la manifestation
Anne Barre, présidente de WECF France

  • Dr.Annie Thébaud-Mony, Directrice de recherche honoraire INSERM, GISCOP93: Genre et cancers professionnels : enjeux de santé publique ?
  • Emilie Counil, Epidémiologiste, professeur à l’EHESP et directrice du GISCOP93
  • Charles-Olivier Betansedi, Doctorant, chargé d’études GISCOP93
  • Anne Marchand, Doctorante, chargé d’études GISCOP93
  • Dr. Noelle Lasne, médecin du travail
  • Mme Dominique Enjalbert, association EDATET