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WECF à la COP28 : une analyse écoféministe

WECF à la COP28 : une analyse écoféministe Du 30 novembre au 13 décembre 2023, la ville du Dubaï a hébergé la plus grande conférence climatique internationale : 190 pays y ont participé pour affronter les défis urgents liés au dérèglement climatique et accélérer la collaboration internationale pour des solutions durables. En première ligne de ce rassemblement diplomatique, l’équipe engagée de WECF a activement plaidé pour l’adoption de solutions écoféministes. Elle vous présente dans cet article ses réflexions sur les résultats de la COP28.

Dans cet article, nous analysons les négociations sous une approche féministe. Durant la COP, WECF s’est concentrée sur cinq axes des négociations. Chaque axe est crucial dans la conception et le développement d’une réponse globale à la crise climatique. En bref, notre équipe de WECF a pu :

  1. Le Genre : S’engager dans des discussions sur l’intégration des enjeux de genre dans les politiques climatiques, en particulier avec le renouvellement du Plan d’Action sur le Genre (GAP) prévu pour 2024.
  2. Le Bilan Mondial : Participer aux négociations qui ont évalué la mise en œuvre de l’Accord de Paris, notamment sur le rôle des technologies
  3. Le Programme de travail sur la Transition Juste : Aborder la nécessité d’une transition juste vers une économie bas-carbone pour les travailleur·ses et les communautés pour un futur durable
  4. L’Agriculture et la Sécurité Alimentaire : Plaider pour l’intégration des perspectives de genre dans les politiques agricoles et de sécurité alimentaire, en reconnaissant le rôle central des femmes et des personnes représentatives de la mixité des genres dans ces secteurs
  5. Article 6 Approches coopératives fondées ou non sur les marchés : Contribuer aux négociations visant à promouvoir les approches non-fondées sur les marchés pour les solutions d’atténuation et d’adaptation, tout en créant un marché carbone mondial afin pousser à des réductions d’émissions efficientes

À travers cet article, nous aimerions partager les défis de la COP28 mais également les temps forts qui nous (re)donnent espoir. Ce fut un privilège de pouvoir y participer avec nos partenaires, dans une atmosphère de collaboration et de partage. Au-delà des négociations, nous avons également organisé et participé à de nombreux évènements en marge des négociations. Dans la dernière section de l’article, l’équipe WECF présente les « moments-clés » de la COP.

Le Genre

Rebecca Heuvelmans, chargée de plaidoyer et de campagnes chez WECF, a pu suivre les négociations liées aux enjeux de genre. « Cette année, les négociations sur les enjeux de genre devaient être une pure formalité : les Partis n’avaient prévu que de se mettre d’accord sur un calendrier de mise en œuvre ». À l’origine, il avait été décidé que les évaluations du Plan actuel d’Action sur le Genre de la CNUCC et la décision de l’adoption d’un nouveau Plan se feraient toutes deux à la COP29. Ces délais étant trop serrés, il a été décidé de commencer les procédures d’évaluation dès mars. « Cependant, les points importants ont presque tous été retirés du texte », ajoute Rebecca. « Par exemple, certains Partis se sont opposés à la prise en compte des principaux résultats issus de l’atelier sur une transition juste et sensible au genre ; toute mention aux communautés locales et aux femmes autochtones est absente du texte ; et encore une fois, les financements pour la mise en œuvre du Plan d’Action sur le Genre n’ont pas abouti”.

« Au sein de la Women and Gender Constituency, nous demandons un nouveau Plan d’Action sur le Genre ambitieux ; mais dans l’état actuel des négociations, nous ne sommes pas très optimistes à ce sujet ».

Le Bilan Mondial & la Technologie

Anne Barre, responsable des programmes Genre et Climat chez WECF, a pu suivre les négociations tumultueuses sur le Bilan Mondial. La première évaluation collective de la mise en œuvre de l’Accord de Paris, avait comme objectif de pousser pour une action climatique juste et plus ambitieuse dans les années à venir. Les discussions entre les Partis furent longues et difficiles, démontrant un désaccord important sur le niveau d’efforts nécessaire pour résoudre cette crise, ainsi que sur les prochaines actions à entreprendre.

Crédit photo Annabelle Avril/ WECF

L’issue des discussions est décevante, malgré la puissante mobilisation de la société civile à Dubaï et l’obtention de la mention d’une transition hors des combustibles fossiles dans le texte final de la COP. Cependant, ce texte ouvre également la porte à des distractions technologiques dangereuses, à l’instar du captage et stockage de CO2, du nucléaire et de l’hydrogène, ainsi que d’autres fausses solutions, comme les « carburants de transition » et les solutions « net-zéro ». Nous trouvons également que l’approche centrée sur l’Intelligence Artificielle comme solution pour l’action climatique est souvent vue comme étant « miraculeuse ». Au contraire, le GIEC insiste sur la nécessité de prioriser les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, les transitions justes socialement, et les mesures de résilience pour les populations les plus affectées afin de rester sur la trajectoire de l’objectif 1.5°. La décision finale de la COP28 n’est pas la transition complète, juste, rapide, pleinement financée, et féministe hors des combustibles fossiles dont nous avons besoin pour la survie des humains sur cette planète.

Pour autant, nous pouvons nous féliciter car le Bilan Mondial inclut l’importance d’approches sensibles au genre pour guider l’action climatique à venir. Cependant, nous regrettons le manque de références à la protection, au respect et à la promotion de droits humains – des principes qui ne guideront donc pas les mandats et engagements des pays dans les années à venir.

Anne ajoute : « Personnellement, ayant participé aux 3 phases du dialogue technique sur le Bilan Mondial depuis juin 2022, je suis outrée que le texte final n’appelle pas le Partis à renforcer la collecte et l’utilisation de données ventilées par genre dans les prochaines éditions de leurs Contributions Nationalement Déterminées ; un élément que nous avons constamment demandé à toutes les sessions. »

Le Programme de Travail sur la transition juste (JTWP)

La Transition Juste était un élément central de l’agenda de cette COP. Malgré les attentes importantes, le texte final n’est qu’une succession de paroles creuses ! En effet, il ne mentionne que la création d’espaces de partages d’expériences, sans prévoir des résultats concrets. La société civile a démontré que la transition juste unit les travailleur·ses, les agriculteur·ices, les peuples autochtones, les femmes, la jeunesse ; et elle demande que leur droit à tous·tes de participer soit respecté. Or, la plupart des négociations se sont tenues à huis-clos.

La version finale du texte laisse donc un goût amer. Certes, il prend en compte les demandes de la société civile d’inclure la coopération internationale comme facilitatrice du programme de travail. Cela permet la reconnaissance du principe de responsabilités communes mais différenciées. Il est également mentionné que la transition juste doit être effectuée via des dialogues, la protection sociale et la reconnaissance des droits des travailleur·ses. Cependant, il n’y a aucune mention de la reconnaissance des droits humains et des femmes, et du travail impayé, précaire et informel, notamment dans le domaine du care. Cela n’est pas en accord avec notre vision féministe du JTWP. Ce programme devrait protéger les droits des travailleuses ; et il devrait être centré sur la mise en œuvre et le renforcement des normes internationales liées au travail ; des droits des femmes, enfants, et jeunes, des populations autochtones, des communautés locales, des travailleur·ses handicapé·es, des personnes racialisées et d’autres groupes marginalisés.

Crédit photo Annabelle Avril/ WECF

Agriculture et sécurité alimentaire

Annabel Kennedy, responsable de projet chez WECF, a suivi les négociations liées à l’agriculture et la sécurité alimentaire avec des collègues de la Women and Gender Constituency. À l’issue des intersessions de Bonn en juin, il y a eu une frustration importante : des éléments de langage sur le genre ont été supprimés, et d’éventuels progrès ont été bloqués Malheureusement, très peu a changé depuis juin. Nos collègues ont encore une fois quitté la COP, sans qu’une décision ou engagement sur l’intégration des enjeux de genre dans ce programme de travail n’ait été pris. Les discussions ont tourné en rond sur la feuille de route pour la mise en œuvre, les sujets pour les ateliers du programme, la création d’un portail en ligne pour les contributions.  Il y a eu peu de mentions du rôle vital que jouent les femmes dans la production de l’alimentation. Durant la deuxième réunion du programme, Annabel a eu l’opportunité d’intervenir au nom de la WGC.

Crédit photo Annabelle Avril/ WECF

Nous avons souligné l’importance de :

  • Incorporer les savoirs, les besoins et les points de vue des femmes (rurales)
  • Prendre au sérieux le rôle des femmes dans la sécurité alimentaire, tout en considérant les risques particuliers auxquels elles font face dans les situations d’insécurité alimentaire
  • Mettre en œuvre une approche holistique centrée sur les droits et menée par les communautés, et qui prend en compte les écosystèmes, la biodiversité, la santé des sols
  • Intégrer de manière systématique et transversale le Plan d’Action sur le Genre dans les travaux autour de l’agriculture
  • Considérer les alternatives agroécologiques souvent mises en œuvre par les femmes
  • S’opposer aux distractions dangereuses qu’offrent la « climate smart agriculture » et l’Intelligence Artificielle

Malgré plusieurs journées de réunions – dont un nombre important de soi-disant « réunions informelles » auxquelles les observateur·ices n’ont pu participer, réduisant la transparence des discussions – les Partis ont échoué à s’accorder sur un texte. Nous sommes parti·es qu’avec une note informelle, sur laquelle il y avait une référence dérisoire aux femmes rurales dans l’Annexe, qui sera considérée en juin prochain. Vu l’impact dévastateur de l’agriculture industrielle conventionnelle sur le climat et la biodiversité, notamment responsable de la déforestation dans le monde, et vu les effets néfastes liés à l’utilisation des engrais de synthèse et des pesticides, il y a encore beaucoup de chemin à faire pour mettre en place des alternatives agroécologiques fondées sur des droits effectifs et menées par les communautés locales.

Approches coopératives fondées ou non sur les marchés

L’Article 6 de l’Accord de Paris a été discuté en trois temps : d’abord, les alinéas 6.2 et 6.4 liés aux mécanismes de marché, puis l’alinéa 6.8 sur les approches non fondées sur les marchés. En ce qui concerne les articles 6.2 et 6.4, aucun accord n’a été trouvé. C’est un des rares exemples où le manque de progrès est en réalité une victoire. En effet, les mécanismes de marché ne peuvent être une priorité aux dépens de réductions urgentes d’émissions des gaz à effet de serre. Il a été prouvé sans relâche que les marchés carbones et les initiatives de compensation carbone , par exemple les plantations d’arbres en monoculture, sont souvent des mirages. Ils portent fréquemment atteinte aux droits humains des populations locales, avec par exemple des actes d’expropriation qui affectent de manière disproportionnée les femmes et les peuples autochtones. En ce qui concerne les longues discussions autour de la « séquestration » carbone, il est clair que les gouvernements et les entreprises sont déterminés à faire tout ce qu’ils peuvent pour continuer à agir « comme d’habitude ». En faisant la promotion des solutions technologiques problématiques, non prouvées et risquées, ils se déresponsabilisent et évitent de s’engager pour une transition urgente et juste hors des combustibles fossiles.

Crédit photo Annabelle Avril/ WECF

Ce point a été souligné durant un excellent évènement au sujet des implications et impacts de l’article 6 sur les communautés locales. De manière inacceptable, le travail sur le texte a continué alors qu’aucun garde-fou n’a été mis en place, aucun accord n’a été établi pour les compensations aux populations, et il n’y a eu aucune mention des droits humains. Même si un texte a été adopté pour l’alinéa 6.8, durant les négociations, certains Partis ont exprimé leur déception profonde quant à l’inégalité entre les discussions des articles 6.2, 6.4 et 6.8. En effet, les discussions autour des approches non-fondées sur le marché ont reçu peu d’attention et n’ont pas été priorisées. Quand le sujet a reçu de l’attention, certaines solutions proposées étaient inquiétantes et pas alignées avec l’esprit des principes non fondées sur le marché (par ex : le prix carbone). Les marchés « carbone » et les compensations ne sont pas des solutions à la crise climatique ; pire encore, ils représentent la continuité et le maintien des systèmes capitalistes, extractivistes et coloniaux qui ont causé cette crise. Il est évident que nous devons continuer à promouvoir des approches holistiques fondées sur la préservation des écosystèmes, qui respectent les droits humains, l’égalité des genres et sont menées par les populations et communautés.

Les temps forts pour l’équipe WECF

L’évènement sur les Bonnes Pratiques liées à l’Action Climatique Sensible au Genre

Rebecca a particulièrement apprécié cet évènement dans le hub “Renforcement de capacités”. Il a permis de créer un espace de dialogue sur des sujets importants tels que les droits des femmes et leur accès à la propriété terrienne, aux espaces de décisions, aux financements et à la technologie. Agnes Mirembe, Trupti Jain and Ernestine Leikeki ont partagé leurs expériences réussies d’actions climatiques sensibles au genre, ainsi que les obstacles systémiques auxquels elles sont confrontées. Après leurs interventions, elles ont co-animé des discussions avec Dorothee Lisenga, Valeria Pelaez Cardona and Melano Tskhvaradze.

Crédit photo Annabelle Avril/ WECF

Combler les inégalités de genre dans la mise en œuvre du CDN

Durant cet évènement, nous avons exploré quelles sont les approches féministes qui peuvent transformer les Contributions Déterminées Nationalement (CDN). Nous avons facilité un dialogue dynamique entre les gouvernements, la CNUCC, et les organisations de la société civile. Ces discussions étaient à propos d’initiatives climatiques technologiques menées par les communautés afin de combler le vide lié au genre dans l’action climatique en général. Notre objectif est de soutenir la mise en œuvre des CDN en suivant les principes de transitions justes, l’égalité des genres et le respect des droits humains ; en insistant sur le besoin de prendre en compte les expériences et savoirs des organisations locales, autochtones et féministes dans la conception des technologies et politiques climatiques.

Vous pouvez visionner l’enregistrement de cet évènement ci-dessous:

Prix Solutions Genre et Climat

Le temps fort d’Anne fut la célébration des prix Solutions Genre et Climat le 5 décembre ainsi que les échanges enrichissants avec le groupe de lauréat·es précédent·es que nous avons invité cette année. Nous avons pu observer comment ces personnes construisent courageusement des solutions efficaces dont nous avons besoin pour résoudre la crise climatique mondialement ; et comment elles ont été capables de déployer leurs actions grâce à une solidarité puissante. Observer cela est une immense source d’espoir, nous donnant la force de continuer notre mobilisation féministe pour des actions climatiques sur le terrain.

« Nous sommes comme une communauté », déclare Gaia Zanaboni, Assistante sur les Politiques Genre et Climat. “Cela fait 6 mois que je travaille sur le programme des Solutions Genre et Climat et cette COP était ma première. Participer à cette conférence et être au sein d’un espace dénué d’espoir a été difficile. Cependant, ça été incroyable d’être là-bas avec les nombreux lauréat·es et de rencontrer les nouveaux·elles. Ces rencontres m’ont donnée la force dont j’avais besoin pour faire face à la COP. C’est cela que je retiens de cette COP : le pouvoir de l’action collective. Malgré les nombreuses tentatives de bloquer la société civile, nous étions là, solidaires et bruyant·es. Et nous le resterons et nous continuerons à nous battre pour un futur écoféministe commun. »

Voici la vidéo sur l’édition de cette année du Prix Solutions Genre et Climat !

En plus des évènements mentionnés ci-dessus, WECF a également co-organisé d’autres évènements. Vous pouvez retrouver les détails ici.